Partager du feedback, un challenge à surmonter pour les managers. Les conseils de Marion Sulpice, coach en management.

Assumer la fonction de manager pour la première fois, ce n’est pas toujours simple. Surtout lorsque l’on sait que 66% des managers déclarent éprouver des difficultés à gérer leurs équipes. 

Un challenge récurrent auxquels font face les jeunes managers, c’est donner du feedback. Le feedback, c’est pourtant l’un des principaux leviers de motivation, de performance et de rétention des talents.

En effet, on estime que le feedback régulier permet une hausse de 50% de l’engagement, 25% de la performance et diminue jusqu’à 30% le taux d’attrition.

Alors, pourquoi le feedback peut-il être un exercice difficile pour les primo-managers. Comment y remédier afin de déployer une culture de feedback positive et efficace dans son entreprise ? 

Ce sont les questions que j’ai posées à Marion Sulpice, coach professionnelle spécialisée dans l’accompagnement des primo-managers.

Pourquoi le feedback est un exercice incontournable pour bien accompagner ses équipes ?

Exercice boudé par nombre d’entreprises et de managers, la puissance du feedback reste encore sous-estimée.

Pourtant il s’agit du meilleur atout du manager pour accompagner ses collaborateurs.

Cet outil incontournable revêt plusieurs fonctions, toutes aussi utiles les unes que les autres.

Avant toutes choses, le feedback est un outil de communication : il permet au manager de communiquer avec ses collaborateurs de manière efficace et cadrée. En mettant en place des feedbacks réguliers avec ses collaborateurs, le manager instaure un dialogue continu, qui est essentiel au bon fonctionnement d’une équipe. Il peut ainsi être au plus proche de ce que vivent ses collaborateurs pour mieux les accompagner et les aider à prendre de la hauteur.

De manière plus précise, nous pouvons identifier deux types de feedback : 

Le feedback “négatif” : il a pour but de faire le point sur les comportements et actions qui méritent d’être améliorés, ou qui ne sont pas adaptés aux attentes. Ce feedback permet ainsi au collaborateur de progresser rapidement en modifiant ses actions.

Le feedback “positif” : souvent oublié, il permet de valoriser les réussites d’un collaborateur. Ce type de feedback est un gros levier de motivation et d’engagement, car il permet d’apporter de la reconnaissance, qui est un besoin psychologique fondamental chez chacun. À ne pas négliger !

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Il faut garder en tête que chaque collaborateur cherche à progresser et à évoluer. Nous avons tous un angle mort, donner du feedback en tant que manager, c’est apporter les informations manquantes pour répondre à ce besoin de progrès.

Cependant, le feedback, notamment négatif, est un exercice souvent difficile pour les primo-managers. Pourquoi ?

Justement à cause de son appellation qui est assez… négative.

Le feedback dit négatif est une vraie bête noire pour les personnes qui managent pour la première fois, et pas que ! Les managers les plus expérimentés qui n’ont pas défait ce nœud rencontrent aussi des difficultés.

Le fait d’utiliser ce terme de “négatif” colle au feedback cette étiquette : quelque chose de mauvais.

C’est pourquoi je pense qu’utiliser le terme de feedback “constructif” peut aider les primo managers. Non pas par langue de bois, mais pour se concentrer sur la vraie utilité de ce type de feedback : avoir un retour juste et honnête pour aider la personne à progresser.

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Au-delà de cette vision du feedback qui est assez répandue chez les primo-managers se cache plusieurs craintes qui rendent cet exercice difficile, et la croyance que pour être un bon manager, il faut être aimé par ses collaborateurs.

Les craintes qui reviennent le plus fréquemment sont la peur de la réaction du collaborateur, et donc du conflit, la crainte de lui faire de la peine et d’être “méchant”, la peur de ne pas être légitime pour le faire.

Elles sont communes à la plupart des managers, et sont encore plus présentes chez ceux qui prennent la tête de leur ancienne équipe.

Comprendre et accepter que le rôle d’un manager n’est pas d’être apprécié de ses collaborateurs, même si c’est agréable, mais de leur permettre de grandir, ce qui est parfois inconfortable est un premier pas pour aborder le feedback avec plus de facilité.

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Comment est-ce que cela se traduit chez des managers que vous accompagnez ?

Un dirigeant d’entreprise que j’ai récemment accompagné (la difficulté ne concerne pas que les primo-managers) rencontrait des difficultés avec les feedbacks négatifs.

Il se sentait débordé par ses émotions et se figeait au moment de faire un feedback ou de recadrer un collaborateur. Dans son fonctionnement, cela signifiait être méchant, et sa peur liée à cette croyance prenait le dessus. 

La conséquence était qu’il ne donnait pas de feedback, que ses collaborateurs ne progressaient pas, et que des situations qui desservaient l’entreprise s’installaient, nuisant à la performance globale.

Nous avons donc travaillé sur sa gestion des émotions : apprendre à les nommer, à les identifier, comprendre ce qui se joue en lui dans ces moments-là, et les réguler; ainsi que sur sa croyance limitante.

Pour ensuite mieux communiquer dans la forme, point que nous avons également travaillé en coaching.

Le simple fait de mettre de la conscience sur son fonctionnement et de comprendre ses peurs lui a permis de franchir un grand pas, et il ne recule plus devant les feedbacks. C’est une belle victoire !

Comment devenir à l’aise pour donner ce genre de feedback alors ?

Pour gagner en aisance dans les feedbacks “négatifs”, le travail se fait à plusieurs niveaux.

Dans un premier temps il faut comprendre son état d’esprit, prendre conscience de son fonctionnement pour le diriger vers quelque chose de plus aidant, puis dans un second temps, passer à l’action !

Il n’y a pas de secret, c’est en passant à l’action et en pratiquant régulièrement que l’on gagne réellement en aisance. Ce qui demande d’accepter l’inconfort de départ.

Voici quelques pistes de réflexion pour les primo-managers : 

  • Changer le regard que vous portez sur le feedback. Plutôt que de penser “négatif”, pensez “cadeau”. Chaque mot revêt une importance et une énergie particulières. Le fait de voir le feedback comme un cadeau fait à vos collaborateurs, comme une opportunité de croissance, vous permettra déjà d’aborder l’exercice avec un état d’esprit plus positif.

  • Identifiez vos croyances concernant le feedback. Prenez le temps d’observer et de noter ce que vous vous dites à ce sujet, ce que vous pensez, ce que vous ressentez. Puis questionnez la véracité de ces propos. Par exemple, si vous vous dites que donner ce genre de feedback va faire de la peine à votre collaborateur, demandez-vous : qu’est-ce qui me fait dire cela, ai-je une preuve, un exemple concret ?

  • Utilisez l’effet miroir : comment est-ce que vous recevez et percevez ce genre de feedbacks ? Êtes-vous à l’aise en tant que récepteur ou bien est-ce que vous acceptez mal la critique ? Cela peut jouer sur la vision que vous avez du feedback en tant qu’émetteur.

Les entreprises ont aussi un rôle important à jouer pour favoriser la culture du feedback.

En cultivant cet état d’esprit, en en faisant quelque chose de naturel, voire de cool, cela donne un cadre favorable pour que les managers comme les collaborateurs se sentent à l’aise avec le feedback.

Pourriez-vous me donner un exemple concret d’un ou une jeune manager que vous avez coaché sur le sujet ?

J’accompagne en ce moment une manager sur sa prise de poste, elle manage désormais l’équipe dont elle faisait partie.

Elle rencontrait des difficultés à faire des feedbacks, en particulier avec l’une de ses collaboratrices avec laquelle elle avait développé une amitié lorsqu’elles étaient collègues.

Que cela soit l’annonce d’une décision, ou un feedback sur un comportement non adapté aux attentes, elle se sentait très angoissée à l’idée de le faire. Elle se disait que sa collaboratrice allait se braquer, mal prendre ce qu’elle allait lui dire. 

Résultat : elle repoussait l’échéance et lui disait les choses à demi-mot. Son impact était donc limité, ainsi que sa crédibilité et son autorité de manager.

Nous avons donc travaillé sur son système de pensées, à commencer par l’anticipation de la réaction négative de sa collaboratrice, qui n’était basée sur aucune preuve concrète. Il s’agissait d’une croyance basée sur la manière dont elle-même recevait les feedbacks négatifs.

Nous avons ensuite modifié ensemble sa vision du feedback afin que celle-ci soit plus aidante : le feedback est une opportunité d’évolution et de progrès pour la personne, et non pas une remontrance. L’un des points importants étant de se rattacher à sa posture de manager et à ce qui compte pour elle : faire grandir son équipe.

Se rattacher à son “pourquoi”, à ce qui compte profondément pour soi, est très puissant pour prendre ce type de décision et surmonter ses freins.

Enfin, je lui ai transmis une technique de feedback simple et efficace (le feedback dit “sandwich” qui a certes ses détracteurs, mais qui selon moi permet d’aborder l’exercice plus facilement pour les managers ayant ce type de freins).

Utiliser une méthode ou une technique permet de laisser moins d’espace aux émotions qui interfèrent, et d’avoir des repères qui aident au départ.

D’une certaine manière, c’est cela travailler sa posture de manager ?

Tout à fait. D’après une étude récente, 66% des managers trouvent leur fonction stressante et 43% considèrent que cela représente trop de responsabilités.

Se retrouver propulsé comme manager sans être accompagné a de quoi effrayer, c’est pourquoi beaucoup se sentent seuls et démunis face à leurs responsabilités.

Cette notion de posture est donc cruciale dans le fait d’être plus à l’aise avec le feedback, et ses responsabilités.

Définir et clarifier son rôle et son identité de manager, pourquoi est-ce que vous faites ce métier, quel est votre but profond et les missions qui en découlent : c’est ça définir sa posture.

Cela permet de prendre de la hauteur et de voir plus grand. 

Intégré dans cette vision globale et dans cette projection, le feedback reprend sa juste place : à savoir un outil de communication performant.

Travailler sa posture de manager, en apprenant à mieux se connaître et à développer ses ressources internes pour appréhender ces situations, permet donc de faire face à ses responsabilités avec plus d’aisance et de plaisir.

Enfin, y a-t-il des méthodes pour partager du feedback plus facilement ?

Oui, pour moi il y a trois clés principales.

La première est de se former. Des techniques de feedback, il y en a plein (STAR, DESC, sandwich, etc.). Prenez celle qui vous convient, entraînez-vous. Avoir des repères rendra l’exercice plus facile, vous serez plus concis, direct et constructif.

La seconde est de définir au plus tôt votre cadre. Plus le cadre et les attentes de départ sont clairs, plus le feedback est facile à faire car les règles du jeu sont connues de tous. Cela aide aussi à faire des feedbacks basés sur des faits objectifs.

Enfin, la troisième clé est de pratiquer. Comme pour toute chose, plus on pratique, plus on maîtrise. Donner du feedback deviendra donc facile et naturel.

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Quelle différence voyez-vous entre les entreprises qui investissent dans la culture du feedback et les autres ?

Les études le montrent, les entreprises avec des cultures de feedback performances sont tout simplement plus performantes : leurs équipes sont plus motivées, plus productives et plus fidèles à l’entreprise.

La culture de feedback des géants de la tech, comme Google ou Netflix, est connue et reconnue : ces entreprises multiplient les rituels entre managers et collaborateurs afin de maximiser les opportunités de feedback. Ainsi, des points “one-to-one” ont lieu entre managers et collaborateurs tous les 7 ou 15 jours ; les entretiens annuels sont souvent remplacés par des entretiens trimestriels ou semestriels et enfin, les feedbacks spontanés sont encouragés et normalisés.

En rendant le feedback régulier, bien formulé et actionnable, ces entreprises permettent non seulement aux employés de grandir et de s’améliorer en continu mais aussi de désamorcer les tensions, de surmonter les petits points de blocage, de fluidifier la collaboration et d’améliorer les processus en continu. La culture du feedback est donc bénéfique aux employés mais aussi à la performance de l’entreprise.

C’est d’ailleurs cette philosophie qui a inspiré des plateformes de feedback comme Popwork qui provoquent du feedback régulier et de qualité entre managers et collaborateurs.

Enfin, si l'on cite souvent des entreprises comme Google ou Netflix lorsque l'on parle de la culture du feedback, je tiens à souligner que le feedback n’est évidemment pas réservé à l’univers de la Tech et des start-ups, il doit être un élément clé de la culture de toutes les entreprises.

D’ailleurs, j’aime bien rappeler qu’une des citations les plus connues sur le feedback a été formulée par Warren Buffet ! "Honesty is a very expensive gift; just don't expect it from cheap people." En d’autres mots, faire un feedback honnête est coûteux et demande du courage, mais c’est un cadeau d’une valeur inestimable !

Merci Marion pour ce partage et ces précieux conseils pour nos lecteurs.

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Marion est Coach Professionnelle, spécialisée dans l’accompagnement des primo managers en prise de poste, et des dirigeants d’entreprise qui ne sont pas passés par la case management. 

Après plusieurs années d’expérience dans des fonctions commerciales et marketing au sein d’entreprises du secteur des boissons, elle met ses compétences d’écoute profonde, d’analyse et son intuition au service de ses clients lors de coaching individuels et d’ateliers collectifs.

Son crédo : « On se remonte les manches, et on y va ! », et ce avec enthousiasme et humour.

Retrouvez plus d’informations sur son site internet : https://marionsulpice.fr/professionnel