Coach professionnelle, Violaine accompagne entreprises, managers et particuliers. Ancienne chargée de communication en agence mais aussi en entreprise, Violaine est aujourd’hui spécialisée sur le sujet de l’introversion au travail.
Pourquoi cette spécialisation sur l’introversion au travail ?
Je suis moi-même introvertie mais je n’ai compris qu’avec le recul l’impact que cela avait eu sur ma carrière. J’ai reçu de la part de certains managers des remarques qui m’ont déstabilisée : “tu es trop discrète”, “tu ne prends pas assez la parole”... j’aurais aimé avoir des clés de compréhension pour mieux assumer mon tempérament et pouvoir éclairer mes N+1, pour qu’on s’appuie encore plus sur mes forces.
C’est pourquoi aujourd’hui j’accompagne en coaching de nombreux introvertis, profils encore peu valorisés par rapport à la norme dans les entreprises qui sont plus à l’aise avec les profils extravertis.
Cette approche introversion - extraversion dans le monde du travail est un sujet traité et visible aux Etats-Unis. Il est simple d’accès et très utile. En France, on a tendance à préférer des modèles plus complexes, comme le MBTI par exemple, qui demandent un vrai apprentissage pour être actionnable au quotidien.
Quelle est la définition d’un profil introverti ?
Un introverti c’est tout simplement une personne tournée vers le monde des idées, vers l’intérieur, qui a tendance à perdre de l'énergie au contact de stimulations extérieures fortes, comme les groupes ou le bruit, alors que l’extraverti lui s’en nourrit.
Ce sont souvent des personnes d’apparence calme, réservées, qui partagent peu leurs émotions et ont soif de profondeur. Généralement, les introvertis s’expriment de manière posée et prennent rarement la parole en premier. Il faut souvent du temps pour vraiment les connaître.
Ce qui est important à comprendre, c’est que chacun de nous se situe sur un continuum introversion-extraversion et qu’il est rare de se situer aux extrêmes. Si notre tempérament est relativement figé sur un point du continuum et qu’il n’est pas élastique à l’infini, nous avons tous la capacité de nous y déplacer selon le contexte et l’enjeu. Chacun peut donc adopter des comportements et des compétences du profil opposé avec un peu d’entraînement. Il est très enrichissant de faire collaborer différents types de profils entre eux, et les rendre complémentaires pour l’équipe ou l’entreprise.
Pourquoi s’intéresser aux profils introvertis en entreprise ?
Au premier abord, un introverti peut être une personne difficile à cerner. Il est facile d’apposer des étiquettes réductrices, et ce faisant, de négliger les forces et les talents uniques des introvertis, qui risquent de perdre en motivation et en engagement si on passe à côté de la valeur qu’ils apportent.
Les profils introvertis sont généralement tournés vers la réflexion et excellents analystes, ce qui leur permet de résoudre des problèmes complexes. Leur capacité de concentration est également un atout pour travailler sur des sujets de fond, qui demandent persévérance, rigueur et sens du détail. Ils peuvent aussi s’avérer très créatifs et innovants lorsqu’ils sont dans un environnement de confiance, adapté à leur fonctionnement.
Albert Einstein ou Elon Musk par exemple sont des introvertis qui ont plutôt bien réussi !
Certains “soft skills” sont très recherchés par les entreprises aujourd’hui : écoute, empathie, vision, prise de décision raisonnée, pensée critique. De ce point de vue là, les profils introvertis peuvent donc être un formidable atout pour les entreprises, surtout lorsqu’ils sont complétés par des profils extravertis qui vont quant à eux apporter leur capacité d’exécution multiple et rapide et leur habilité à collaborer.
Néanmoins les forces et les compétences des introvertis sont encore trop souvent sous-estimées.
Quels conseils donnez-vous aux collaborateurs introvertis ?
Le premier conseil, c’est d’être très vigilant sur sa ressource d’énergie disponible car celle-ci peut vite être consommée dans un contexte professionnel. Il ne faut surtout pas chercher à se suradapter car cela est encore plus coûteux en énergie.
Une bonne pratique peut être par exemple de bloquer des créneaux où l’on ne sera pas interrompu ou choisir de traiter les dossiers les plus complexes le matin, lorsque la réserve d’énergie a plus de chances d’être haute. Il faut également veiller à se ménager de courtes pauses seul tout au long de la journée pour récupérer dans le calme.
Une autre difficulté qui peut facilement se surmonter : accepter de ne pas avoir les bonnes réponses tout de suite lors d’un échange. Un introverti peut tout à fait demander à son interlocuteur un temps de réflexion pour structurer sa pensée tranquillement et revenir avec les informations demandées au moment voulu.
En fait, il s’agit d’être clair auprès de son entourage professionnel sur sa nature introvertie et oser donner son “mode d’emploi”. Il ne faut pas hésiter à préciser ses modes de communication préférés par exemple (ex : tchat et e-mails plutôt que téléphone).
Avec le télétravail notamment, les visio se multiplient et sont très consommatrices en ressources cognitives. Il est important de se ménager des temps calmes pour se recharger au cours ou en fin de journée (pause, marche, méditation, musique, etc.).
Idem en physique et en open-space en particulier, il faut veiller à identifier les endroits les plus propices pour s’isoler régulièrement (bureau fermé, salle de réunion, pause aux toilettes même pour certains...). Aux Etats-Unis, on voit d’ailleurs de plus en plus d’ambassadeurs introvertis qui militent pour intégrer des espaces d’isolement pour les employés dans chaque entreprise. Dans ce pays, l’introversion au sens large est également davantage prise en compte dans les processus de recrutement et d’onboarding, dans une démarche inclusive.
Et que conseillez-vous à leurs managers ?
La première étape est d'être capable de lire les comportements et de bien cerner les profils de ses collaborateurs, et d’en discuter avec eux si nécessaire. Cela permet de prendre conscience des préférences de chacun et d’adapter en fonction ses modes de communication et de collaboration. C’est aussi une clé pour attribuer à chacun des missions adaptées à ses zones d’excellence.
Plus spécifiquement, pour les profils introvertis, il faut prendre garde à ne pas les bousculer. Des injonctions régulières pour les pousser à prendre spontanément la parole en réunion ou des comparaisons avec d’autres collaborateurs extravertis peuvent s’avérer plus handicapantes que motivantes.
Mieux vaut, au contraire, envoyer un ordre du jour en amont et demander du travail de préparation avant les réunions pour que chacun puisse contribuer efficacement. Sans cette préparation, vous risquez de ne pas exploiter tout le potentiel des collaborateurs introvertis qui mûrissent longuement leurs idées avant de les partager.
Enfin, les managers d’équipes ne doivent surtout pas demander aux introvertis d’être des extravertis. Ils doivent respecter leur fonctionnement et rester à leur écoute. Les points en 1:1 sont à privilégier. Avec le télétravail, il y a en effet un risque accru pour les introvertis de se mettre très en retrait sans s’en rendre compte, jusqu’à perdre le lien avec leur manager ou leur équipe.
Est-il possible d’être un bon manager en étant introverti ?
Il n’y a pas de plafond de verre et les introvertis peuvent être d’excellents managers ! Grâce à leur écoute, leur vision et leurs capacités de réflexion, ils peuvent avoir un fort impact sur leur équipe et favoriser la circulation de nouvelles initiatives, comme une grande autonomie de chacun.
Il existe néanmoins certains points de vigilance. Les profils introvertis peuvent parfois avoir des difficultés à entretenir un lien continu avec leurs équipes car ils en ont moins besoin. Comme ils ne sont eux-mêmes pas attirés par la reconnaissance sociale, ils peuvent oublier parfois de féliciter leurs collègues. Enfin, ils doivent souvent apprendre à déléguer car leur rigueur et leur envie de bien faire peuvent leur amener à beaucoup faire par eux-mêmes. Au fond, il s’agit pour les managers introvertis de rester attentifs à leur disponibilité et leur qualité de présence auprès des membres de leur équipe.
Je pense par exemple à un dirigeant coaché récemment qui n’avait tout simplement pas pensé à instaurer de rituels avec son équipe avec le passage au télétravail et ne communiquait avec eux que par e-mail, car c’est ce qui lui convenait à lui. Il est essentiel pour un manager de prendre le pouls régulièrement de ses collaborateurs et de créer de l’informel avec son équipe.
Pensez-vous que certaines pratiques peuvent permettre à tous les profils de mieux travailler ensemble, en présentiel comme en télétravail ?
Bien sûr. Il faut être capable de prendre en compte la culture de l’équipe, au-delà de la culture de l’entreprise, pour créer les conditions des meilleures collaborations.
Au niveau collectif, chaque équipe peut par exemple travailler sur ses règles de fonctionnement : comment aborder et animer les réunions ? Quels canaux de communication privilégier pour quels messages ? Comment mieux travailler ensemble, en synchrone et en asynchrone ? C’est un exercice ludique et fédérateur pour s’assurer que tous les profils de l’équipe trouvent leur place.
Au niveau individuel, cela demande une curiosité de la part du manager et de chacun des collaborateurs envers les autres - la prise de conscience des fonctionnements de chacun aide à travailler plus harmonieusement - à distance comme en présentiel et incite à développer ses capacités d’adaptation.
Un introverti peut-il devenir extraverti, ou inversement ? Est-ce souhaitable ?
Non, surtout pas ! On est qui on est, avec des talents et des singularités qui nous sont propres et méritent d’être saluées. C’est cela qui rend l’entreprise riche et vivante. Si on est plutôt voire carrément introverti, c’est une illusion - et une source de déception - de vouloir travestir son identité et trahir ses besoins fondamentaux en cherchant à agir comme un extraverti.
En revanche, c’est très motivant de savoir qu’on peut flexibiliser son comportement selon les situations et les interlocuteurs. L’idée est d’être conscient de la façon dont on se comporte et des ressources qui sont à notre disposition pour les ajuster au mieux.
Pour développer sa souplesse comportementale, on peut s'appuyer sur ses forces et se fixer des challenges inspirants et accessibles. Par exemple, on peut se poser la question : quel est mon super pouvoir en tant qu’introverti ou extraverti ? On peut aussi essayer de se mettre dans la peau de quelqu’un du profil opposé au nôtre : qu’est-ce que j’aimerais pouvoir lui emprunter comme compétence ou attitude ? Cela peut être un bon moyen d’élargir même un tout petit peu sa zone de confort.
Un dernier conseil à partager ?
La prise de parole en réunion est un point de blocage fréquent qui revient dans les coachings que je fais.
C’est une pression que subissent les introvertis et qui est régulièrement pointé du doigt par leur entourage professionnel.
Mon conseil c’est de commencer petit et de se rendre fier de soi : parler au moins une fois à chaque réunion puis ensuite se lancer - avec préparation ou en prenant des notes à l’écrit avant de s’exprimer - pour défendre une idée à laquelle on croit en session de groupe… Cette mécanique de petits pas permet vraiment de monter en puissance sans se dénaturer, pour le bénéfice de tous !