"J'aime l'entreprise, mais j'ai observé les défaillances majeures à l'intérieur de l'entreprise. Des process à n'en plus finir, des réunions qui ne servent à rien, des powerpoint qui épuisent tout le monde, des séminaires avec des jeux infantilisants…Ce n'est pas efficace pour les entreprises," a expliqué l'économiste Nicolas Bouzou à l’occasion de la sortie de son livre La Comédie (in)humaine (2018) co-écrit avec la philosophe Julia de Funès. Le livre dénonce certaines initiatives corporates qui sont “des aberrations de la vie en entreprise” selon les auteurs (création du poste “chief happiness officer”, babyfoots et teambuilding à outrance), “alors que, au fond, ce dont on besoin les salariés c'est d'avoir une direction claire, qu'on leur donne du sens et qu'on les laisse travailler. Notre message à la fin du livre, c'est : “entreprises, laissez travailler vos salariés”.
Que l’on soit d’accord ou non avec ce constat, une chose est certaine : le monde du travail vit aujourd’hui une crise de sens. En novembre 2020, selon l’institut Opinionway, un salarié sur deux serait en situation de détresse psychologique. On parle alors davantage d’une souffrance mentale qu’une pénibilité physique. “Burn-out”, “bore-out”, “brown-out”… tous ces néologismes sont les témoins d’un nouveau mal-être que le manager d’aujourd’hui doit savoir identifier : que vos collaborateurs s'ennuient ou s'épuisent au travail a en effet toute son importance dans le quotidien d’une équipe.
Alors, comment reconnaître un collaborateur qui va mal ? Comment un manager peut-il l’aider et anticiper son mal-être ?
Reconnaître un mal-être et identifier les causes
La première chose à faire en tant que manager est de repérer les signes d’un mal-être. Pour cela, nous ne le répéterons jamais assez : l’empathie -qui fait partie du top 10 des soft-skills les plus recherchés-, l'écoute active et l’ouverture d’esprit sont des qualités indispensables à cultiver en tant que manager. Comment repérer une perte de motivation si nous n'avons pas ou peu de communication avec notre équipe ? Comment identifier une baisse de moral si nous n’écoutons qu’à moitié les réponses de nos interlocuteurs ? Si nous ne demandons jamais “Comment vas-tu ?” avant une réunion ? En adoptant cette posture d’écoute et en observant une personne au travail, nous pouvons repérer plus facilement un changement de comportement ou un désinvestissement, premiers signes d’un éventuel mal-être.
Ensuite, le mal-être peut se manifester de nombreuses manières :
- Des erreurs fréquentes, une perte d’efficacité professionnelle
- Des retards, des ralentissements dans les tâches
- De l’absentéisme
- De la fatigue, un manque d’énergie et un épuisement général
- Des difficultés de concentration
- Des émotions à fleurs de peau et inhabituelles : de la colère ou des pleurs fréquents, une certaine irritabilité, une agressivité injustifiée… Adrien Chignard, psychologue du travail, fondateur du cabinet de conseil et d'accompagnement Sens et Cohérence conseille aux managers de “Garder en tête trois repères simples, les trois “i” : instabilité, irritabilité, isolement”.
- Un retrait vis-à-vis du travail
- Des sentiments de négativisme ou de cynisme liés au travail
- Un manque de discernement
- Un changement de comportement : un timide qui devient désinvolte, un boute-en-train qui se met en retrait, un calme qui s'énerve…
- Et d'autres symptômes physiques : tachycardie, tremblements, sueurs, boule dans le ventre…
Une fois les observations faites, le manager peut commencer par se renseigner auprès des collaborateurs proches de la personne en détresse. Le deuxième réflexe du manager est ensuite d’aller voir le collaborateur pour lui faire part de ses observations. Prévoir un entretien avec ce collaborateur permettra de crever l'abcès. Mais attention à engager le dialogue de la façon la plus bienveillante possible, à toujours respecter le collaborateur et sa pudeur. Pour cela, essayez d’être le plus objectif possible et évitez l’interrogatoire. La bonne attitude consiste à ne pas banaliser le malaise ni à le dramatiser, il ne faudrait pas que votre interlocuteur ressente cette conversation comme une agression supplémentaire. Pesez vos mots, faites-lui part de vos observations et de votre inquiétude sans le faire culpabiliser. Dialoguez, écoutez-le, rassurez-le. “Depuis un mois, nous ne te voyons plus aux déjeuners d’équipe…” ; “J’ai remarqué que …” …
L’idée est ensuite de comprendre les causes et trouver des solutions pour changer les situations qui mènent à cette souffrance. Selon le dernier baromètre Cegos, 59% des salariés disent subir un stress régulier au travail. Les raisons principales ? Une charge de travail trop importante pour 45% d'entre eux, une mauvaise organisation (pour 31%) et un manque de soutien (pour 27%). Mais l’origine d’un mal-être n’est pas forcément facile à trouver.
Par conséquent, essayez, ensemble, au fur et à mesure de la discussion, de comprendre les raisons. Est-ce un stress lié à une surcharge de travail ? Ou est-ce plutôt lié à des problèmes relationnels, ou à l’envie de changer d’activité professionnelle ? Voici quelques pistes :
- Une surcharge de travail : surmenage, objectifs trop ambitieux, trop de travail, journées trop longues
- Des échecs à répétition
- De l’ennui
- Des problèmes dans la vie personnelle
- Une mauvaise qualité des relations avec les supérieurs hiérarchiques : stress, conflits, harcèlement, …
- Une absence de soutien
- Une pression exercée par le manager, mais aussi par les collègues, les clients, les fournisseurs…
- Une désorganisation interne qui complique tous les processus, des changements incessants au sein de l’entreprise, imposés par la transformation digitale, le télétravail, la crise sanitaire…
- Une perte de sens dans le travail : il y a de plus en plus de métiers intermédiaires qui ne voient plus la finalité de ce qu’ils font. Les causes ? Trop de process et pas assez de concret. Dans son livre Bullshit Jobs, David Graeber, anthropologue américain anarchiste, professeur à la London School of Economics, dénonce ces “jobs à la con”, à l'origine de la crise de sens des travailleurs à cols blancs. D’après lui, un bullshit job est “un boulot si inutile, absurde, voire néfaste, que même le salarié ne peut en justifier l’existence, bien que le ‘contrat’ avec son employeur l’oblige à prétendre qu’il existe une utilité à son travail. Ceux qui occupent ces boulots à la con, sont souvent entourés d’honneur et de prestige ; ils sont respectés, bien rémunérés (…). Pourtant, ils sont secrètement conscients de n’avoir rien accompli”. Ce sujet est également abordé par le journaliste Jean-Laurent Cassely dans son livre intitulé La Révolte des premiers de la classe : métiers à la con, quête de sens et reconversions urbaines. Il y explique les choix faits par ces jeunes actifs qui fuient la Défense pour se tourner vers des métiers relationnels ou manuels où concrètement, ils voient le résultat de ce qu’ils entreprennent.
- Un sentiment fort de perte de contrôle dû à l’absence de participation dans la prise de décisions qui les concernent de près
En fonction de la cause, essayez de comprendre ce qui pourrait faire du bien au collaborateur dans le besoin. Une vraie coupure, des jours de congés ? Une nouvelle mission ? Des séances de coaching ? Surtout, si vous sentez que le collaborateur ne désire pas en parler, si vous ne vous sentez pas à l’aise d’en parler avec lui, ou si vous voyez que le mal-être est profond, faites appel au médecin du travail ou au service des ressources humaines. N’hésitez pas à alerter des personnes compétentes.
Le rôle du manager : posture et accompagnement
Prévenir les risques psychosociaux (RPS) dans son équipe fait partie des missions du manager. Il en est d’ailleurs pénalement responsable : selon l'article L 4121-2 du code du travail, il doit être “réactif en cas de mal-être patent, éviter et anticiper les situations à risques”. Lorsqu’un mal-être émerge, l'important est donc de bien montrer au salarié que ses difficultés sont entendues et que l’équipe tâche d'y remédier.
En France, 87 % des managers estiment être mal accompagnés par l’entreprise pour faire face au burn-out d’un membre de son équipe (étude Cadremploi « Le burn-out », publiée le 17 juin 2019). Alors, comment, en tant que manager, pouvez-vous essayer d’anticiper un mal-être chez l’un de vos collaborateurs ?
- En écoutant activement. En réalité, très peu de personnes sont naturellement et réellement capables d'écouter. Et globalement, nous retenons moins de la moitié de ce que l'on nous dit. Au quotidien, lors d’un point 1:1, le manager doit donc se “forcer” à être silencieux, à ne pas couper la parole et à se focaliser à 100% sur le discours de son interlocuteur, pour saisir chaque détail du message, qu’il soit verbal ou non verbal. L’une des clés de l’écoute active est la reformulation, c'est-à -dire de répéter avec nos propres mots ce qui a été dit, pour vérifier et faire valider le message.
- En adoptant une posture de coach et d’accompagnateur. Le manager moderne, qui fait partie de l’entreprise libérée, prend régulièrement le pouls de son équipe et ne manage plus par l’autorité. Il a confiance en ses collaborateurs et souhaite développer l’autonomie de ses derniers. C’est a priori un management plus direct, qui redonne un sentiment d’action aux collaborateurs, qui sont par définition moins surveillés et davantage challengés par rapport à des objectifs fixés.
- En étant bienveillant. Etre bienveillant, ce n’est pas vivre dans un monde de bisounours ni entretenir une relation amicale avec chacun de vos collaborateurs. D’après Julia de Funès, philosophe et conférencière spécialisée dans le monde de l'entreprise, la bienveillance en entreprise suppose du courage, de la clarté et le sens de la confrontation. Elle ne passe pas forcément par la création de “chief happiness officers”, chargés de veiller à l'épanouissement des collaborateurs. Pour elle, le manager bienveillant insuffle de l’humanité dans les relations professionnelles tout en challengeant intelligemment ses troupes.
- En s’interrogeant sur sa manière de manager. Prendre du recul, régulièrement, pour éviter d'éventuelles fautes de management, un management toxique ou un micromanagement. Il faut veiller à tenir compte de la charge de travail réelle, déléguer sans lâcher complètement les reines, prendre le temps de reconnaître le travail fourni grâce à des feedbacks réguliers et constructifs…
Les entreprises tendent de plus en plus à trouver des solutions pour alléger la charge mentale des collaborateurs. L'assurance complémentaire santé Alan encourage par exemple ses salariés à supprimer toutes leurs notifications pour éviter d’être dérangés trop régulièrement. Pour échanger, des chaînes de discussions sont volontairement ouvertes sur un outil en ligne et chacun répond quand il le souhaite, lorsqu’il est 100% disponible. Chez Danone, tous les vendredis après-midi sont «libérés». La règle ? Aucun appel, aucune réunion de prévue, aucun e-mail envoyé, pour que chacun puisse boucler ses dossiers avant de partir en week-end.
Ces initiatives visent à éviter une ambiance stressante. Pour éviter tout mal-être sur le long terme, Françoise Papacatzis, responsable de la prévention des risques psychosociaux chez DuPont de Nemours France, suggère que les managers aient toujours en tête les cinq besoins identitaires d'un individu :
👉 se sentir exister (par les échanges, la considération) ;
👉 l'intégration (j'appartiens à une équipe, une entreprise) ;
👉 l'individuation (mon travail est unique) ;
👉 la valorisation (je fais quelque chose d'utile) et
👉 le territoire (j'ai un rôle clair).
L’occasion de vérifier si ces 5 besoins sont comblés chez vos collaborateurs au prochain 1:1 que vous aurez préparé efficacement grâce à Popwork 😉 !